Texte pour “Les enfants du Sabbat 14”, catalogue du Creux de l’enfer, 2013.

 

Voir les frontières trembler

 

À s'imprégner du travail d'Hugo, en premier lieu à travers ses dessins, le cœur de son activité (artistique), on est frappé, touché par la récurrence de formes qui dans leur diversité ou leur multiplicité métamorphique renvoie toutes en quelque sorte à quelque chose qui touche au sacré, à la croyance .. certes pas une croyance théologique mais plutôt une croyance en l'énergie ou croyance en l'immanence de la nature et à une sorte de mouvement ou de passage qui traverse tous les êtres, les anime et surtout, telle une matrice invisible, les fait communiquer les uns avec les autres. Ou dit autrement, comme ce mouvement généralisé qui dans son déploiement organise la matière à tous les niveaux, c'est à dire du microcosme jusqu'au macrocosme, selon les mêmes principes ou plus précisément encore, tels des principes formateurs, selon les mêmes codes formels. Il s'agit finalement de la "formation de la forme", de ce qui dès les premiers éléments de la matière comme finalement des premiers traits, points ou courbes qui composent ses dessins comme tout dessin en général, tel déjà que Jean-Luc Nancy en pointe le caractère fondateur. En quelque sorte, c'est un peu comme si nous étions confrontés à cet incessant mouvement de formation de formes, dont le monde finalement n'est que l'ultime figure homéostatique et dont les dessins d'Hugo rejouent ou renouvellent en quelque sorte à chaque fois les principes formateurs, selon une approche différente et toujours singulière.

 

En un sens, entre réception passive et recherche active et documentée, c'est un peu comme si Hugo cherchait à inscrire, à prêter sa main à ce mouvement, à s'en imprégner, à se laisser envahir par "ça", à partir de choses qu'il connait, auxquelles il croit, à partir de "ça" qui précisément engendre dans sa complexité stratifiée tout là. Comme si à chaque fois se rejouait à travers lui, à travers sa main, manifestement animée par quelque chose qui le dépasse et d'ailleurs auquel il ne se mesure pas et se confronte encore moins mais plutôt cherche à en faire un allié, ou du moins s'y suspendre, comme dans un état de veille suspendue où il prête à la fois son corps, son esprit, sa sensibilité et surtout sa main à tracer ce qui vient du fond du monde, et qui du fond du monde, étage par étage, forme le monde, et le forme dans son incessante formation, suspendue de par sa finitude dans la multiplicité incessante de ses frontières éphémères.

 

Dès lors, à qui l’œil est prêté, de s'y laisser transporter, à les toucher, à les frôler, c'est de l'essence des frontières que de trembler, que d'exposer en leur tremblement même à l'ouverture, à son fond sans fond, sur ses bords justement, là où de vibrations en fragmentations, lignes et courbes composent son approche.. là où devant cette incessante venue du monde, si profuse et si multiplement espacée (dans la communauté des singularités qu'elle y forme et informe), le texte cède sa place à la texture, elle toujours à venir et de partout le débordant, comme finalement la bouche cède sa place à la main .. à cette main, qui depuis les premiers traits de charbon gravés sur les parois du néolithique, à cette main encore, qui telle celle d'Hugo, touche par touche, d'un trait ou de traits parfois si délicatement et si patiemment disposés, comme par ascétisme ou par médiation, s'y prête, comme si elle n'était là que le gant renversé dans lequel, en son passage infini, l'immanence venait à s'y glisser et par là-même, voire comme cela-même à s'y écrire ou à s'y inscrire, à s'y déposer ou plus encore à s'y signer en ces marques à nous exposées, à nous offertes et adressées…

 

Michel Gaillot, mai 2013