A propos de l'exposition "Passage" au centre Jean-Wagner de Mulhouse.

 

 

Arte Poetica

 

Un vent de poésie souffle sur l'Origami à Mulhouse. En étroite collaboration avec la curatrice de l’exposition Anne-Sophie Miclo, Hugo Livet a semé son art de manière subtile aux quatre coins de ce colosse architectural. Les œuvres ont été spécialement réalisées pour s'intégrer à ce lieu imposant, atypique et flambant neuf, pour y déposer les traces d’une histoire fictive, d’un passé qu’il n’a pas encore.

 

Sommes-nous véritablement quelque-part lorsque nous nous trouvons entre deux étages dans un ascenseur ? Lorsque nous traversons un couloir pour aller d'une pièce à une autre ? Ce sont ces lieux de transition, que nous empruntons machinalement, sans y prêter attention, que l'artiste a investi pour son exposition « Passage ».

 

Pour l'occasion, Hugo Livet a réalisé des œuvres discrètes, furtives, sans cimaises ni projecteurs, Des œuvres qu'il faut deviner, chercher du regard, bien qu'elles se trouvent sous nos yeux. De petites phrases griffonnées sur des Post-it font office de cartels. Elles ont été rédigées dans un train, par l'artiste alors « passager », là encore dans un espace en transit. Ainsi, on comprend que rien n'a été laissé au hasard, que dans ses œuvres les moindres détails font sens, la poésie est poussée à son paroxysme.

 

Dans les couloirs de l'Origami de petites feuilles en terre cuite s'éparpillent sur le sol et le mobilier, comme les témoins d'un coup de vent qui aurait balayé l'espace. Ce sont de minuscules sculptures de végétaux dont les rainures sont constituées par l'empreinte des doigts de l'artiste. Une démarche dont l'esthétique et la réalisation ne sont pas sans évoquer quelques chefs d’œuvres de l'Arte Povera notamment ceux de Giuseppe Penone, comme Souffle de feuille, où l'artiste laisse l'empreinte de son corps dans un tas de feuilles mortes, ou encore Patates, des pommes de terres devenues anthropomorphes par un processus de moulage. Pour Hugo Livet, il s'agit d'apporter un peu de nature dans cet espace bâti, mais une nature toute relative, puisque là aussi façonnée par l'homme.

 

Une fois disposées dans l'espace, ces feuilles sont alors abandonnées à leur destin, déplacées par les courants d'air, écrasées par les visiteurs maladroits. Leur état ne cessera d'évoluer tout au long de l'exposition, à l'image des êtres vivants qu'elles représentent. Toujours en mouvement également, ces photographies de flocons exposées dans l'ascenseur. Cet espace d'accrochage invite le visiteur à un voyage vertical, l'emporte littéralement au cœur d'une tempête de neige. Dans le monde virtuel d'internet, les flocons photographiés sont isolés, et protégés par des droits d'auteurs. Hugo Livet a voulu les rassembler et les remettre librement sur l'espace public. À nouveau réunis et offerts au regard de tous, ils sont comme renvoyés à leur état originel, à leur état de nature.

 

Les œuvres d'Hugo Livet semblent toujours prendre racine dans les lieux pour lesquels elles sont conçues. Infimes, leur présence résonne pourtant dans les espaces parfois imposants dans lesquels elles s'inscrivent et qu'elles envahissent discrètement. Le spectateur quant à lui est impliqué, il participe activement à l’œuvre. À lui de canaliser son désir de grand spectacle, d'observer attentivement les petits détails, d'y revenir peut-être, comme on prêterait l'oreille à quelqu'un qui parle à voix basse, sous peine de passer à côté, de ne pas parvenir à saisir l'insaisissable, que l'artiste nous sert pourtant sur un plateau.

 

Ophélie Chalabi, Juin 2014