Interview par l'association Le Bail à l'occasion de l'exposition "Mirare" (Juin 2019).

 

- Le Bail : Votre pratique convoque de nombreuses formes organiques, de la plante à la molécule en passant par les nuages, alors que vous employez des outils aux antipodes de leur matérialité (matériaux synthétiques, programmes informatiques). Comment articulez-vous cette opposition apparente ?

- H.L : Je suis fasciné par la nature, par son élégante complexité. J'aime la voir comme une technologie, de la même façon que j'aime voir dans la culture un déterminisme naturel. Il semble paradoxalement que plus la culture (et donc la technique) évolue, plus il est difficile de la distinguer de la nature. Un algorithme n'est il pas naturel ? Qu'en est-il d'un organisme génétiquement modifié ? Même lorsqu'on parle du paysage, il n'existe probablement aucun éco-système sur terre qui n'ai jamais été manipulé par l'homme.
C'est cette ambiguïté entre naturel et culturel qui nourrit mon travail, car elle ouvre à d'autres questions qui nous concernent directement. Par exemple qu'est-ce qui est authentique ? Si on ne peut pas distinguer la nature de la culture et si leur évolution mutuelle dépend désormais de notre responsabilité, alors on peut commencer à appréhender les choses sous un autre angle, celui des relations, des rapports que l'on crée avec notre environnement. C'est pourquoi je m'inspire de l'un ou de l'autre sans distinction, en dessinant des "algorithmes" à la main ou en créant des arborescences métalliques.
Nous (les humains) créons nos propres matériaux, notre propre géologie, notre propre nature. Finalement je ne fais que suivre ce mouvement.

- Le Bail : Zone de rencontre dédiée à différents êtres vivants, l’installation Mirare que vous proposez dans le cadre de l’ancienne gare de Reuilly viendrait activer une connexion avec des entités discrètes dans le paysage urbain. La notion d’attention à ces présences est elle importante dans votre travail ?

- H.L : Je cherche à créer des relations. Je me pose toujours la question de comment "faire avec", avec le lieu, avec les matériaux. Comment utiliser leurs "pouvoirs" ?
Pour le projet Mirare, j'ai remarqué lors de mes repérages que le lieu était constamment visité par les moineaux vivants aux abords de la coulée verte. J'ai donc pensé que je devais les intégrer au projet, faire une sculpture "avec" les oiseaux. L'installation a été conçue pour qu'un visiteur seul ou en petit groupe puisse, au passage, observer les oiseaux s'y laver et s'y abreuver. C'est une invitation à laisser l'attention se porter ailleurs pour un moment.
Et pour capter cette attention en premier lieu, j'utilise souvent le leurre ou l'effet d'optique. Mon but est d'amener le spectateur dans une zone d'intimité qui ouvre un autre niveau de lecture et qui vient influencer son expérience de l'œuvre et de son contexte.

- Le Bail : Derrière le formes organiques que vous choisissez, les mathématiques et la géométrie transparaissent que ce soit à travers l’utilisation d'algorithmes ou par les formes que prennent vos dessins ou sculptures. Quelle place la science occupent-elle dans votre démarche artistique ? Vous sentez-vous proche de l'artiste chercheur, dont la pratique s'aligne avec une forme de prospective scientifique ?

- H.L : La science, sous toutes ses formes, a toujours nourri ma pratique et mes réflexions. Je pense qu'elle permet, au même titre que l'art, d'augmenter notre niveau de perception, d'aiguiser notre vision du monde.
La méthode scientifique qui consiste à théoriser puis expérimenter est très proche de celle du plasticien, à la différence près que ce dernier est libéré du besoin d'objectivité rationnelle. Je n'ai rien à prouver, je peux simplement montrer. Je peux extraire de la science toutes ces magnifiques formes et processus et les réutiliser librement à des fins esthétiques. Les sciences offrent constamment de nouveaux moyens à explorer, de nouvelles façons de transformer la matière, et laissent derrière elles une foule de fantasmes et de mythes dont j'aime aussi tirer profit. Je vois ma propre production artistique comme un système d'évolution darwinien, avec ses mutations et ses erreurs, dans lequel chaque élément influence le suivant.

- Le Bail : De l'apparence des icebergs au plan vide d'une feuille ou d'un écran, vos œuvres présentent une blancheur persistante. Comment cette absence de couleur se révèle-t-elle évidente et nécessaire à l'ensemble de vos productions ?

- H.L : Le blanc représente pour moi une norme culturelle, omniprésente dans l'art depuis le marbre des statues antiques jusqu'au white cube. En un sens il symbolise notre culture, c'est une des raisons pour lesquelles je l'utilise, pour son caractère artificiel.
L'autre raison, c'est que la couleur a toujours été un problème pour moi. Elle me fascine mais je ne l'utilise pas ou très peu car je la trouve toujours trop forte, trop spécifique. Je trouve toujours qu'elle s'impose trop. Le blanc au contraire c'est une respiration, il laisse place au reste, il montre plutôt que de se montrer.